Dire stop à l'anthropomorphisme
Aujourd’hui, quand je suis allée chercher mon cheval au pré, j’ai senti que ce n’était pas comme d’habitude. Lui qui m’accueille toujours plutôt avec les oreilles en avant, a tourné les talons et est parti dans la direction opposée. Pourtant, même si cela ne semblait pas être ok pour lui, il fallait venir quand même car c’était le jour du parage. Avec le maréchal et au retour au box ensuite, idem. Il n’était pas franchement désagréable, mais il était moins paisible que d’habitude. Alors que je voulais monter, j’ai décidé de longer. Changer d’avis quant à ce que j’avais prévu de faire, ne me pose absolument aucun problème. D’autant plus que le travail à pied me semble toujours plus pertinent pour observer le cheval. Dès les premiers tours de longe, il est à fond. Il marche et trotte très vite, trop vite. Et tout d’un coup, au détour d’un coin dans le manège, c’est l’explosion ! Le démarrage à fond, la fuite éperdue à cause d’un chien qui est simplement sorti d’un box dont la porte était ouverte. Et je sens bien qu’il y a beaucoup, beaucoup d’énergie accumulée qui ne demande qu’à exploser. Ok … maintenant, il faut réfléchir. Comment t’aider.
Pour beaucoup de cavaliers cette situation serait un « non-évènement ». Pas la peine d’en faire tout un post … heu, un plat.
Chacun son chemin, j’ai choisi l’observation et le questionnement.
Face à cela, il y a ceux qui vont se jeter dans l’anthropomorphisme et conclure plus vite que leur ombre : « oh mais c’est pas possible, tout va être prétexte à péter en l’air aujourd’hui ! de toutes façons je l’ai senti, il a sa tête des mauvais jours ! », ou bien « ah ! il va se servir de la moindre petite chose pour exploser » etc… En pensant cela, il n’y a qu’un pas vers un serrage de vis parce que « hé ho, là ça va bien maintenant de faire exprès ! ». Résultat ? Injustice manifeste et absence de respect pour l’animal.
Personnellement je lutte pour réagir autrement et entraîner mon cerveau à aller plus loin que cette navrante interprétation. Voyons d’où vient cette énergie ? Rapidement, je me suis rendue compte que je l’avais peu sollicité cette semaine d’un point de vue physique, ce qui n’aurait pas été un problème s’il avait pu profiter et se défouler dans son pré. Hélas, avec la pluie et un sol très glissant, ce ne fut pas le cas. Un des besoins de base (marcher et se dépenser) n’était pas satisfait. Ce qui suit est mon hypothèse, tirée de mes lectures (pas des scientifiques éthologues de supermarché mais de neuroscientifiques réputés). Cette non satisfaction d’un besoin de base crée un stress dans l’organisme de mon cheval. Le cerveau, fonctionnant en mode prédictif, va chercher naturellement la cause de ce stress pour savoir quoi faire après. Pour un cheval, animal de proie, la cause est vite trouvée : il y a un danger. Il est donc à l’affût et c’est tout à fait normal que le chien qui sort du box, la tondeuse qui s’allume … provoquent la fuite.
Vous voyez qu’il ne fait pas « exprès », qu’il ne sert d’aucun « prétexte » et que le « serrage de vis » est parfaitement stupide. En revanche, c’est l’occasion de rassurer, d’occuper l’esprit, et d’apprendre d’autres comportements.
C’est pourquoi l’anthropomorphisme peut nuire.
Rappelons que l’anthropomorphisme est la tendance à attribuer des caractéristiques humaines à des animaux, des objets ou des phénomènes naturels. Pourquoi fait-on cela ?
Et bien il semblerait que les êtres humains ont une tendance naturelle à utiliser des heuristiques pour comprendre le monde qui les entoure. L’anthropomorphisme est une de ces heuristiques, facilitant la compréhension et la prévision des comportements des animaux ou des objets en leur attribuant des intentions et des émotions humaines.
Une heuristique est « l’art d’inventer, de faire des découvertes » en résolvant des problèmes à partir de connaissances incomplètes. Ce type d’analyse permet d’aboutir en un temps limité à des solutions acceptables. Celles-ci peuvent s’écarter de la solution optimale. Pour Daniel Kahneman, c’est une procédure qui aide à trouver des réponses adéquates, bien que souvent imparfaites, à des questions difficiles. (Wikipedia).
Ne révèlerait-il pas, in fine, une forme d’ignorance ?
Ne plus en référer à l’anthropomorphisme implique de faire l’effort de considérer que le Cheval et l’être humain sont deux espèces différentes et que, partant de ce constat, c’est une erreur de s’imaginer qu’il est « comme nous ». Non, il ne l’est pas, n’en déplaise à beaucoup. C’est en essayant de comprendre son univers, différent du mien, que je le respecte le plus et que je lui donne mon entière considération et amour. Et je pense que je ne pourrais pas faire cela en niant ce qu’il est.