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Emotions : une hypothèse qui a 2000 ans

Ce qui suit est une traduction de l’introduction du livre de Lisa Feldman Barrett « How emotions are made » agrémentée d’exemples choisis pour les cavaliers. https://lisafeldmanbarrett.com/books/how-emotions-are-made/

Dans la mesure où nous ressentons des émotions différentes qui entrainent des états différents, il a été facile d’admettre depuis plusieurs centaines d’années que chaque émotion avait un circuit distinct dans le cerveau et le corps. La manière dont nous vivons l’émotion, comme quelque chose qui nous arrive tout d’un coup, nous a aussi fait croire que des éléments extérieurs étaient capables de déclencher ces circuits entraînant des changements dans le corps. Ces circuits seraient par ailleurs présents dès la naissance.

Voici la vision classique de l’émotion. Une vision dans laquelle les émotions sont pensées comme des sortes de réflexes bruts en contradiction avec notre rationalité. La part primitive de vous-même vous dit que votre cheval vous énerve aujourd’hui et vous avez envie de vous mettre en colère, mais votre côté rationnel sait que si vous le faites cela ne réglera pas votre problème et que ce n’est pas bien, alors vous vous retenez.

Voici le grand récit de notre civilisation qui nous aide à nous définir en tant qu’être humain. Sans rationalité nous ne serions qu’un animal émotionnel.

Cette vision dure depuis Platon et est omniprésente (même dans les dessins animés : Pixar – Inside Out), pourtant malgré les grands noms qui l’ont fait naître, il existe de nombreuses preuves scientifiques qui démontrent qu’elle ne peut être la vérité.

Aucun scientifique n’a pu révéler, ne serait-ce que pour une seule émotion, la moindre empreinte physique. Quand les scientifiques mettent des électrodes sur les visages de personnes pour mesurer comment les muscles bougent pendant qu’ils expérimentent la même émotion, ils trouvent de la variété et non de l’uniformité. Cette même variété est trouvée dans le corps et dans le cerveau : votre pression sanguine peut augmenter ou baisser pendant la colère, et vous pouvez ressentir de la peur avec ou sans amygdale.

S’il existe certaines preuves qui vont dans le sens de la vue classique, il en existe deux fois plus qui la remettent en question et donc, la seule conclusion scientifique raisonnable ici est que les émotions ne sont pas ce que nous pensons qu’elles sont.

Si on se contente de regarder les données, on se rend compte qu’une autre explication paraît évidente. Les émotions ne seraient pas intégrées à la naissance mais fabriquées à partir de pièces plus basiques. Elles ne sont pas universelles mais varient d’une culture à l’autre et elles ne sont pas « déclenchées » mais « créées ». Elles émergent d’une combinaison entre : les propriétés physiques de notre corps, un cerveau qui se câble en fonction de l’environnement dans lequel il se développe et notre culture et notre éducation qui fournissent cet environnement.

Quand vous voyez quelqu’un pleurer suite à la perte de son chien par exemple, cela ne déclenche pas un circuit de la « tristesse » dans votre cerveau causant des changements dans votre corps. Puisqu’il n’existe pas. Vous ressentez de la tristesse car, ayant été élevé dans une certaine culture, vous avez, tout petit, appris que « tristesse » est quelque chose qui peut se produire quand certains ressentis corporels correspondent à une perte. Utilisant vos expériences passées, vos connaissances sur le décès d’un animal et vos expériences de tristesse à ce moment-là, votre cerveau prédit rapidement ce que votre corps doit faire face à cette tragédie. Ces prédictions sont à l’origine de vos battements de cœur qui deviennent plus fort, de votre visage qui se crispe et de votre estomac qui se noue. Elles vous invitent à pleurer, car cette action calmera votre système nerveux et, in fine, elles donnent un sens à ces sensations = « la tristesse ».

De cette manière, votre cerveau a construit votre expérience de l’émotion. Les mouvements et sensations n’ont pas d’empreinte particulière. Avec des prédictions différentes, votre visage aurait pu ne pas bouger et votre estomac ne pas se nouer, mais votre cerveau aurait encore pu transformer ces sensations en « tristesse ». Pas seulement ça, vos sensations d’origine auraient pu aussi être significatives en tant qu’émotion différente comme la colère ou la peur. Ou, dans une situation différente, ces sensations peuvent devenir de la joie ou de la gratitude.

C’est difficile à admettre car c’est contre intuitif, à l’inverse de la vue classique qui elle, a plus de succès car elle est intuitive et rassurante. La théorie de l’émotion construite est une théorie différente de la nature humaine qui vous aide à vous voir sous un jour nouveau et scientifiquement justifié. Elle va à l’encontre des croyances mais elle explique les preuves scientifiques sur l’émotion, y compris de nombreuses preuves que la vision classique a du mal à comprendre.